Temps de lecture : 5 min

Le mois dernier, j’ai passé un week-end à Marseille.

Aucun plan. Juste l’envie de changer d’air avec Chloé.

Un Airbnb dans le quartier de la Plaine, réservé à la va-vite.

À la remise des clefs, la proprio dit :

- Vous êtes là pour le carnaval ?

- Quel carnaval ?

- Le carnaval indépendant de la Plaine. C’est dimanche, à 10 minutes d’ici. Des gens viennent de loin pour y assister. Tout le quartier est en ébullition.

On n’a rien prévu. Alors pourquoi pas.

Le dimanche vers 13h30, on arrive sur la place Jean-Jaurès, encore calme. Difficile d’imaginer le chaos à venir.

J’y passerai 1h30 à photographier.

Aujourd’hui, on parle de photo de rue. Ce qui se passe dans ma tête. Mes intentions. Mes décisions. Mes ratés.

Est-ce qu’une grande photo émergera de ce joyeux chaos ?

C’est la question du jour.

Dans le mail aujourd'hui : 

• Le sponsor du jour

• 13h30-14h30 : Sociologie de comptoir

• 14h30-15h : Tour de chauffe

• 15h-15h30 : 30 minutes en feu

• 16h : Sociologie du carnaval

Le sponsor du jour : RCE Foto

Vous savez avec quoi je photographie ?

Un boîtier de 2017 : un Fujifilm XT-20.

Avec un objectif 35mm f/2 (équivalent 50mm en plein format).

Pas du matériel dernier cri. Et pourtant, les images sont cools, vous verrez.

Inutile de se ruiner pour faire de la photo de rue. Pour moins de 750€, vous pouvez avoir exactement ce combo.

Chez RCE Foto.

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Jusqu’à 2 ans pour le numérique.

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🍺 13h30-14h30 : Sociologie de comptoir

Je m’installe à la terrasse d’un bar pendant que Chloé part en quête de nourriture sans gluten ni lactose.

Un demi, s’il vous plaît.

À la table d’à-côté, des jeunes peaufinent les derniers détails de leurs costumes. Ils fument des roulées et boivent des pastis. Les mecs ont la coupe mulet et les filles les tempes rasées à blanc. Ça sent les étudiants des beaux-arts.

Une poussette passe devant moi. Elle est poussée par un couple monté sur des Veja. Ils me font penser à Marion Cotillard et Guillaume Canet avec 10 ans de moins. Probablement des néo-marseillais.

Le quartier se gentrifie, je me dis, sans conviction. D'ailleurs, où est-ce que j'ai mis les clefs du Airbnb ?

Chloé revient avec des falafels et un premier char entre sur la place.

🐢 14h30-15h : Tour de chauffe

Je termine ma bière, saisit mon fuji et me lève. Il est 14h30.

14h31 : Darmanin Boudin

À peine sorti de la terrasse, je tombe sur cette scène.

La femme ajuste son masque. Je déclenche aussitôt.

Mon intention :

- Associer son regard écarquillé à la pancarte "Darmanin Boudin".

Ouais, c'est super drôle.

Mais voilà :

- L’image est bancale. Trop de vide à droite, malgré le bras entrant.

- La lumière n'est pas ouf : frontale, légèrement de biais. Résultat : des ombres moches, surtout sur son visage.

14h39 : L'humanoïde en alu

Un char en forme de bateau passe, avec un groupe de filles, façon naïades rebelles.

Je remarque surtout l'humanoïde recouvert d'alu.

J’ai une image en tête : lui seul me fixe, droit dans l’objectif.

Je déclenche.

Mais la lumière ne me plaît pas. Trop d'éléments dans l'ombre.

Alors je me décale sur la droite et fais une seconde image.

Cette lumière me convient mieux. Mais ce satané humanoïde ne me regarde plus.

Puis, les filles commencent à poser. Le moment est passé. C'est foutu, je trace.

Ma photo idéale ? Peut-être un mélange des deux.

En 30 minutes, j’ai eu 3 images correctes. Mais surtout, j’ai pris mes marques. Et j'ai trouvé ma lumière.

La demi-heure suivante, je serai en feu.

Cette newsletter est longue. Votre messagerie va la couper.

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🔥 15h-15h30 : 30 minutes en feu

C’est pendant cette demi-heure que je ferai mes meilleures images.

15h07 : Stitch

Je repère un homme avec un haut-de-forme. À côté de lui, une femme porte un sac hérisson.

Je m’abaisse. Je veux les isoler de la foule. Je les photographie en contre-plongée.

Je me décale un peu à gauche. Entre eux, un clown apparaît.

C’est à ce moment-là qu’une petite fille déguisée en Stitch surgit dans le cadre.

Je la regarde. Elle me regarde, gênée. 

Je fais la photo.

J'ai senti la poussette entrer par la droite, accompagnée d’une forme humaine.

Ce n’est qu’en regardant l’image que je vois le hasard heureux : le sac hérisson et la poussette se confondent.

La voiture pour bébé devient une machine de guerre.

J’aime.

15h12 : La cigarette

Avec un objectif 50mm, on est vite à l’étroit. Surtout en plein carnaval.

Je recule de 2 mètres pour éviter la sensation d’étouffement de l'image précédente.

Je visualise ce que je veux :

– un bout de ciel bleu
– les immeubles au soleil
– un sujet à 4 ou 5 mètres

Au loin, une jeune femme s'arrête pour allumer une cigarette.

Je m'approche et je cadre :

– sa tête devant le fond bleu
– des personnages autour d’elle, bien répartis

Et là, surprise :

- Sa tête s’aligne avec des plumes, à l’arrière-plan.

Je ne l’avais pas prévu. C’est un cadeau.

J’aime beaucoup cette image, surtout en très grand : la lumière, les touches de rouge, de jaune, d'alu qui se répondent.

15h27 : Le loup et les autruches

Je me mets à suivre une vieille dame. Elle a un masque de loup derrière la tête.

Elle s’arrête devant une troupe d’autruches qui dansent.

Dans ma tête :

– associer le loup aux autruches
– surexposer le ciel pour le rendre blanc, comme ses cheveux

15h32 : Fuck la surveillance

Une image simple, directe, claire.

Facile à faire, oui. Mais nécessaire. Elle colle à ce que dénonce le carnaval.

La surveillance de masse, le contrôle, l'État policier.

15h34 : Le Data Center,  ce monstre vorace

Je l'aime bien celle-ci.

J’ai cadré serré et légèrement en contre-plongée pour renforcer le poids du monstre technologique.

Le jaune un peu partout rend l’image agréable à l'oeil.

Et puis, les data centers tarés, c'était un des thèmes.

15h35 : Pulco citron

J'aime cette photo, même si, au premier regard, elle semble assez quelconque.

Ce que j’aime, c’est le jeu de regards, lorsque l'on voit l'image en grand.

L’œil du spectateur est attiré par :

– la perruque blonde et les cornes alu
– puis la fille dans la lumière, juste derrière
– qui regarde un couple enlacé
– à gauche, une copine sourit à celle qui regarde le couple

J'aime ce mouvement circulaire. Malgré le chaos, l’image reste lisible. J'aime aussi les sourires.

15h36 : Artémis

Je suis au cœur du cortège. Une foule dense, des gens partout. Impossible de s'en extraire.

Je me retourne : Artémis, déesse de la nature sauvage.

Je veux l’isoler visuellement du chaos. Je me baisse. Je photographie en contre-plongée pour virer la foule et attraper le ciel.

Je fais une première photo. La fille regarde droit devant.

➜ C'est cette image

J'en fais une seconde que je conserverai. C'est celle-ci:

Ce que j'aime : 

- son regard vers le ciel
- le bâton qui ressemble à une croix

L’image prend une dimension sacrée.

Lors de l'éditing, je me demande si en vertical, elle n’aurait pas mieux marché.

Peut-être. Je ne sais pas.

Il est 16h et l'heure de partir. 

🎭 16h : Sociologie du carnaval

Dans le train pour Montpellier, je lis des trucs sur le carnaval de la Plaine.

Notamment cette analyse de l'essayiste marseillais Alèssi Dell'Umbria.

“Le carnaval de la Plaine s’organise de façon libre, en dehors de toute institution socioculturelle.

Il ne s’agit pas ici de pratiques folklorisées, en représentation. Notre carnaval est sans artifice, même si tous y sont déguisés…

Il tourne en dérision la volonté de faire de Marseille une ville aseptisée, vidéosurveillée, fliquée, où il n’y a plus de place que pour des animations livrées clés en main par des professionnels et strictement encadrées.

C’est l’irruption d’une vie incontrôlable ; c’est le Marseille ingouvernable, joyeusement indiscipliné, qui refait surface.”

Est-ce que j'ai fait une grande photo ?

Je ne pense pas. Mais j’en aime bien 4 ou 5.

Ma préférée, je crois, la jeune femme à la coiffe d’indienne. Celle qui allume une cigarette.

J’aime la distance au sujet. J'aime la composition. J'aime les couleurs. Elle résume bien ce que j'ai essayé de faire pendant cette heure et demi.

C'est aussi une image qui vieillira bien.

Dites-moi si ce format vous est utile. Comme c'est une partie de moi, je m'en rends pas forcément compte.

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Je crois au bouche-à-oreille. Chaque petit geste compte.

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Je vous retrouve dans 2 semaines pour un nouvel article.

Prenez soin de vous.

Antoine